L'Association des Amis de Marguerite Burnat-Provins a appris avec grande tristesse le décès de
Madame Francine-Charlotte Gehri
le 14 février 2022 à l'âge de 98 ans
« Francine-Charlotte Gehri a accompagné l’Association des Amis de Marguerite Burnat-Provins depuis ses débuts (1988) jusque dans les années 2000. Dans son rôle de secrétaire de l'Association, elle nous confectionnait des procès-verbaux qui se lisaient comme des contes. Elle était d’ailleurs une nouvelliste et une conteuse de talent, à la parole vive, à l’humour léger. Pendant des années, le vernissage de nos Cahiers annuels se déroulait chez elle, accompagné de délicieux gâteaux et du thé le plus parfumé qui soit. Francine était aussi la personne au monde qui possédait le goût littéraire le plus sûr. Ses conseils de lectures m’ont ouvert des horizons qui me seraient restés fermés sans elle. Nos pensées affectueuses vont vers sa famille en ces jours de deuil. »
Catherine Seylaz-Dubuis
Avis de décès.
Hommage à Francine Gehri (1923-2022)
Texte intégral par Catherine Dubuis, lu à l'occasion de l'AG 2022 de l'AAMBP, le 18 juin 2022
La vie de Francine Gehri mériterait un roman. Ce n’est pas ici le lieu. Je dirai seulement quelle merveilleuse compagne de l’aventure Burnat-Provins elle a été pour moi et pour toute l’équipe dès la création de l’Association, en 1988.
Quand Marguerite Wutrich, la regrettée première présidente, crée l’Association des Amis de Marguerite Burnat-Provins, elle le fait sur l’impulsion qu’elle a reçue lors de sa visite à Grasse, où elle découvre l’ampleur de l’œuvre de celle dont elle fera un des phares de son activité culturelle. Elle entre en contact avec les membres de la Société française des Amis de MBP et décide, de retour en Suisse, de mettre sur pied une association semblable, au vu des années que l’artiste a passées en Suisse romande. Francine fait partie de la toute première équipe.
Sollicitée par Marguerite Wuthrich, j’entre dans le comité, en quelque sorte in absentia, car en été 1988, je suis partie en Chine pour y enseigner le français pendant le semestre d’hiver 88-89. A mon retour, je trouve dans mon courrier, arrivé en mon absence, le premier Cahier édité par l’Association. Dix-neuf autres suivront.
Francine est dès le début notre secrétaire, nous bénéficions de son accueil lors de nos réunions de comité, et de ses procès-verbaux, véritables œuvres d’art comparables à de petites nouvelles. Son style enlevé et joyeux fait merveille. Sa sensibilité littéraire unique vient en appui, lui permettant d’entrer profondément dans l’œuvre de MBP.
Avec l’aide indispensable de Pascal Ruedin, historien d’art, nous lançons l’idée d’une exposition itinérante, qu’accompagnera un album largement illustré, publié aux éditions Payot. Ce projet se réalise en 1994, et nous enverra tour à tour au musée du Ballenberg, au musée du Vieux-Vevey, à la Grenette à Sion, enfin au Palais des expositions de Grasse. Francine est de toutes les expéditions, fidèle, sereine, prête à toutes les corvées sans jamais se départir de son humeur égale. Une perfection ! Elle met toujours la dernière main à la présentation des tableaux, traquant de son petit chiffon le moindre flocon de poussière, le moindre reflet. Nous la plaisantons gentiment, tellement nous l’aimons dans cette tâche de finition minutieuse.
C’est hélas durant cette aventure de l’exposition itinérante que notre Marguerite tombe malade ; elle décède dans le courant de l’année 1996. Francine lui dédie un émouvant hommage, et un portrait d’une criante justesse, dont j’aimerais citer quelques phrases, pour que vous entendiez sa voix :
« Si l’on n’avait avec Marguerite Wuthrich que des rapports fortuits, on pouvait en garder l’image d’une personne dont la douceur un peu rêveuse s’alliait à une gaieté paisible, à un humour toujours bienveillant, à une sensibilité constamment en éveil. Marguerite Wuthrich paraissait considérer choses et gens avec une sorte d’émerveillement sans cesse renouvelé.
Mais, lorsqu’il s’agissait de travailler ensemble, lorsque des rapports plus suivis permettaient de dépasser cette vision en tous points charmante, on s’apercevait vite qu’elle ne laissait place à aucune futilité : elle était au contraire l’expression d’une grande maîtrise de soi et d’une étonnante force de caractère. Nous n’avons pas tardé à apprécier la ferme volonté de Marguerite Wuthrich, son autorité naturelle toujours respectueuse de l’opinion d’autrui, sa capacité à discerner d’emblée les meilleures qualités de ses partenaires et de leur donner l’occasion de les exercer, trouvant ainsi à chacun sa juste place. Se faisait jour aussi une sorte d’intrépidité frondeuse, un goût pour l’aventure — mais l’aventure dont elle avait lucidement évalué les risques : une manière d’apprivoiser les obstacles pour mieux les surmonter. Et surtout, cette femme de culture croyait aux miracles : son art résidait en ceci qu’elle mettait tout en œuvre — nous l’avons bien vu lors de notre exposition itinérante de 1994, à première vue, pour nous, impossible — pour qu’ils se réalisent. »
Je succède à M. Wuthrich dans la fonction de présidente. Nous insufflons un nouveau rythme aux activités de notre association : deux temps forts dans l’année. Au début de l’été, pour coïncider avec la date de naissance de MBP, l’Assemblée générale annuelle statutaire ; en automne, la sortie du Cahier. Francine nous accueille chez elle pour le vernissage, petits hors d’œuvre et douceurs délicieuses, ambiance chaleureuse, amitié et échanges.
Dans le courant de l’année 1998, le projet de rééditer Poèmes troubles nous envoie à Bordeaux, où un petit éditeur s’est dit intéressé, chose rare, car nous n’avons que très difficilement accès aux maisons d’édition françaises, malgré l’origine de MBP. Nous décidons donc de saisir le taureau par les cornes et nous prenons l’avion, Francine et moi, en route (ou plutôt en vol !) pour Bordeaux. Cette escapade nous permet d’entrer en contact avec la maison d’édition L’Escampette, nom qui nous convient totalement. Peu habituées à ce genre d’aventure, nous sommes deux dames mûres qui pouffons comme des gamines en mesurant la petite folie que signifie notre voyage, à nos frais bien sûr ! Le résultat sera un très beau petit livre, soigné, l’un des meilleurs de l’œuvre de Marguerite.
Francine a décliné ses fonctions de secrétaire, à notre grand dam, au début des années 2000. Mais elle a continué à nous héberger pour nos séances de comité et les vernissages des Cahiers. Ce beau compagnonnage cessera avec mon retrait de la présidence pour des raisons d’âge et de santé, en 2013. Cependant, en 2016, pour marquer le cinquantenaire de l’entrée en vigueur de la loi sur la protection de la nature et du paysage (1966), Francine m’a encore accompagnée pour une lecture à deux voix d’un montage d’extraits d’articles et de lettres de MBP à Paul Ganz. Ces textes datent du lancement de la Ligue pour la Beauté, qui allait devenir Patrimoine suisse, entre les années 1905-1908. Nous sommes allées prêcher la bonne parole, en particulier au Lyceum-club à la Maison de la Femme à Lausanne. et à la Maison de commune de Savièse. Je me souviens d’avoir mangé l’une des répliques de Francine, incident qu’elle a accueilli avec sa gentillesse habituelle. Francine adorait lire en public, elle avait une diction impeccable et l’on comprenait chaque syllabe. Et elle était toujours partante pour ce genre d’aventure.
Francine restera dans notre mémoire comme la colonne vertébrale de notre petit groupe, ainsi qu’une amie fidèle, qui m’a constamment émerveillée par la sûreté de son goût littéraire et l’intelligence sensible avec laquelle elle abordait, aussi bien les événements de la vie que les beaux livres qui passaient entre ses mains. Je vous demande d’observer une minute de silence en sa mémoire.
Catherine Dubuis